---------Je, soussigné Erwan BLEIZMOR, Officier de première classe de la Marine Marchande, Capitaine du NAUTILE, d’une jauge brute de 2800, immatriculé à Port aux Français (Kerguelen), appartenant à la Compagnie Maritime du Château Landon, siégeant au 37 rue de Château Landon à Paris, déclare avoir appareillé du port de San Francisco (Californie) pour le port de Juneau (Alaska), chargé de 1650 tonnes de marchandises diverses, convenablement arrimées comme en atteste le certificat de saisissage du Capitaine Expert Robert McDOWELL, muni de mes expéditions, le navire en bon état de navigabilité, les procédures ISM (International Safety Management Code) CPX 200-456 et CPX 200-457, relatives à l’appareillage dûment complétées, l’équipage de 15 hommes au complet ; tirant d’eau au départ de 4,80m à l’avant et 5,00m à l’arrière.--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ---------Le 15 octobre 2004, à 15h00 (heure locale, TU-8), j’appareille. Nous suivons des routes et allures diverses suivant les conseils du pilote que nous débarquons à 1 mille dans l’ouest de la bouée SF1 à 16h06. Le vent, de secteur WSW souffle force 5 Beaufort, le temps est couvert. Une mer forte provoque un tangage brutal. En route libre à 16h30, je règle la machine à 90 tours par minute afin de limiter les efforts du navire. La route fond est établie au 350°. A 20h00, nous sommes dans l’ouest de la pointe ROCKY à 8 milles, le vent a viré à l’ouest et est établi à 7 beaufort. Le 16 à 08h00, nous recevons une carte météo par Facsimilé laissant présager une aggravation de la météo, le vent, toujours d’ouest, souffle maintenant 8 avec des rafales à 9 Beaufort. Le point de midi nous place dans le sud ouest de la point Albert, à 20 milles. Je décide de longer l’île de Vancouver par l’est afin de nous protéger de la mer. A 18h00, j’entre en contact avec le centre de régulation du trafic du détroit de Juan de Fuca et fais venir au 95° afin d’engainer ce détroit. A 21h 30, nous sommes dans le sud à 5 milles de Victoria, je gouverne au 010° pour engainer le détroit de Haro, la machine est réglée à 70 tours. Protégé par l’île de Vancouver, nous rencontrons une mer agitée à peu agitée, le vent a molli (il souffle maintenant entre 2 et 3 Beaufort). A 22h06, je viens à droite au 080°, à 0,5 mille dans le sud de Pine Island. Je laisse Constance Bank sur tribord à 1,5 mille à 22H45 et entrons dans le détroit de Georgie, notre route fond est au 350°.------------------------------------------------------------------------------------------------- ---------Le 17, la visibilité décline progressivement. A 07h00, alors que nous passons dans l’ouest de Delta Port à 3 milles, la visibilité atteint un demi mille. Je mets en routes les signaux de brumes (un coup long toutes les 120 secondes). Par précaution, je fais monter le Bosco en vigie supplémentaire à la passerelle et, en respect de la règle n°19 du règlement international pour prévenir les abordages en mer, règle la machine en avant toute de manœuvre. Le vent est maintenant de secteur NNW force 1 Beaufort. A 09h00, la visibilité tombe complètement. J’estime notre position au sud-est de Texada Island. Notre vitesse fond est de 6 nœuds. J’estime que le courant nous dépale dans l’ouest à environ un demi nœud. A 09h30, le navire s’immobilise brutalement, provoquant l’arrêt du moteur de propulsion, le navire prend une gîte permanente de 2° sur bâbord, cap au 350°. Toutes les portes étanches étant fermées sur mon ordre, je déclenche la signalisation prévue pour les navires échoués puis je préviens les Coast Guard par VHF 13 de notre échouement sur Sandy Bank. Puis j’envoi un ASN (Appel Sélectif Numérique) sur le canal 70 et fais une annonce par VHF sur le canal 16. Notre échouement est sans conteste du à une mauvaise évaluation de la force du courant de ma part. Pendant ce temps, une ronde des sondes est entreprise. Je fais disposer un barrage anti pollution tout autour du navire, craignant une pollution par hydrocarbure. Le barrage est établi à 09h50. Il n’y a pas d’entrée d’eau dans la machine ni dans les cales 2, 3 et 4. Quelques infiltrations en cale 1. D’autre part, nous ne constatons pas de modification de niveau dans nos caisses huiles, FO et DO, Pas de traces de pollution entre la coque et le barrage. Je contacte mon armateur à 10h00 pour l’informer de notre situation et lui demande de prendre contact avec les remorqueurs pour une assistance. J’avise les Coast Guard de l’absence de pollution. La basse mer de 10h30 augmente notre gîte de 1°. Des sondages à la sonde à main autour du navire nous indiquent que nous sommes échoués de l’étrave au milieu de la cale 1, l’arrière ayant encore un mètre cinquante sous la quille. A 11h00, l’armateur m’apprend que les remorqueurs d’intervention sont en opération à cause du mauvais temps des heures précédentes et ne seront pas disponibles avant 72 heures. Les principaux de l’équipage sont réunis par mon ordre (voir procès verbal ci-joint). Afin de nous déséchouer, je transfère 100 tonnes d’eau des ballasts latéraux numéro deux bâbord vers tribord, je vide les double fonds 2 ainsi que le coqueron avant et prends la décision de rejeter une partie de la cargaison à la mer. Après accord avec les Coast Guard, je fais vider par dessus bord six fûts de 200 litres d’huile végétale et pour 150 tonnes de morues séchées et de peaux non traitées. En cale 1, nous constatons quelques fissures provoquant des entrées d’eau dans le premier tiers de la cale, à environ 1 mètre au dessus du plafond de ballast.les entrées d’eau ne semblent pas importantes une fois les puisards assechés, le niveau ne remonte que très très lentement. A 14 heures, nous commençons les manœuvres avec la machine pour nous déséchouer. A 18h00, alors que la marée descend depuis 20 minutes, nous mettons fin notre tentative qui s’est avérée infructueuse. La visibilité est proche de 2 milles, le vent de nord, est établi à 2 beaufort.--------------------------- Les remorqueurs d’intervention ne pouvant venir nous porter assistance, je décide d’établir un point fixe à l’aide de notre ligne de mouillage tribord. Pour ce, nous devrons porter l’ancre à un quart sur l’avant du travers tribord, à environ 100m. Le 18 à 06h00, l’élaboration d’un radeau pour soutenir l’ancre est entreprise. Nous réunissons les six fûts vides à l’aide de bois de fardage et de cornières. Le radeau est prêt à 10h00. L’embarcation de secours est mise à l’eau à 09h45, armée par l’équipe de secours. Par la grue tribord, nous débordons le radeau qui est aussitôt pris en remorque par la barcasse. A 10h05, l’ancre est disposée de façon à ce que nous puissions fixer la cigale sous le radeau à l’aide d’une bosse cassante. Nous commençons à traîner l’ancre à 10h30. Aucune trace d’hydrocarbure n’est visible autour du navire, par conséquent, je fais lever le barrage dans le but de ne pas gêner la manœuvre. A midi, il y a trois maillons au guindeau et la position prévue pour larguer la ligne est atteinte. L’ancre est larguée sans problème. A 12h15, l’embarcation est au poste de mer, et nous commençons à virer sur la chaîne, la marée est haute à 12h30. Le guindeau force beaucoup. Le navire glisse lentement vers l’eau libre, provoquant des à-coups brutaux. Enfin, à 13h15, le navire est déséchoué et se redresse, il reste 2 maillons et demi au guindeau qui a plus de facilité à remonter le mouillage. Je constate que le niveau d’eau dans la cale 1 est en train de remonter alors que les pompes fonctionnent sans interruption. Après inspection, il s’avère que les glissements et les violents à-coups du déséchouement ont augmenté la taille des fissures. A 14h00, le guindeau stoppe brutalement et refuse de redémarrer : le moteur électrique est hors service et la roue d’entraînement a de nombreuses dents manquantes. A 14h15, j’avise mon armateur que nous ne pourrons rejoindre le port de Juneau dans cet état de navigabilité et lui demande de prévoir un chantier dans le port de Vancouver ou je décide de faire relache. A 15h00, la voie d’eau a encore pris de l’ampleur, je fais disposer une pompe Wilden supplémentaire, avec rejet direct à la mer pour ralentir la progression de l’eau. Je fais également larguer l’étalingure et mets en route vers Vancouver. Les Coast Guard sont avertis par VHF 13 de mon intention.------------------------------------- ---------A 15h00, la route fond est au 100°, en avant lente demi, ciel dégagé, courant d’WNW 1 nœud. Nous sommes dans le sud de Texada Island à 10 milles. A 23h00, nous venons au 110°. Le 19 à 04h00, nous prenons le pilote dans l’ouest de la bouée VPS 1, à 0,5 mille. Nous accostons à 08h00, l’amarrage est terminé à 08h15, au quai du Caribou, trois pointes et une garde à l’avant et à l’arrière.------------------------------------------------------------------------------------- ---------Etant donné le mauvais temps rencontré dans les premiers jours du voyage ainsi que l’accident survenu et les fatigues subies par le navire, je fais d’ores et déjà toutes réserves en ce qui concerne les avaries qui pourraient être constatées ultérieurement, tant au navire qu’à la cargaison.----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ---------En raison des sacrifices auxquels j’ai volontairement consenti, après réunion des principaux de l’équipage, dans l’intérêt du navire et de sa cargaison, je déclare le navire en Avaries Communes en conséquence de quoi, aucune marchandise ne sera délivrée sans présentation d’un récépissé prouvant le versement d’une contribution provisoire-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ---------J’affirme le présent rapport sincère et véritable, me réservant la faculté de l’amplifier si besoin est, et le dépose à la Chancellerie du Consulat de France à Vancouver pour servir et valoir ce que de droit.-------------------------------------------------------

Fait à Vancouver le 19 Octobre 2004
PJ : procès-verbal de la réunion des principaux de l’équipage