Compagnie Maritime DuGuesclin
Rapport de mer du Nautile
Capitaine Erwan BLEIZMOR
Voyage de Barcelone à Pise



Rapport de mer du Nautile


Je, soussigné Erwan BLEIZMOR, Capitaine de première classe de la Marine Marchande, Capitaine du NAUTILE, d’une jauge brute de 50 120, immatriculé à Port aux Français (Kerguelen), appartenant à la Compagnie Maritime DuGuesclin, siégeant au 25, avenue DuGuesclin à Rennes, déclare avoir appareillé du port de Barcelone pour le port de Pise, sur ballast, muni de mes expéditions, le navire en bon état de navigabilité, les procédures ISM (International Safety Management Code) CPX 200-456 et CPX 200-457, relatives à l’appareillage dûment complétées, l’équipage de 23 hommes au complet ; tirant d’eau au départ de 8,50m à l’avant et de 9,20m à l’arrière.
Le 10 janvier 2005, à 15h45 (heure locale, TU+1), la machine est parée à manœuvrer, commandes en passerelle. Le pilote embarque à 16h00, j’appareille à 16h10. Nous suivons des routes et allures diverses sur les conseils du pilote que nous débarquons à 18h06 dans l’est de la bouée BPS à un mille. La visibilité est bonne, la mer calme et le vent de secteur SSW souffle force 2 Beaufort. En route libre à 19h30, je règle le moteur principal à 100 tours par minutes ce qui fait marcher à 15 nœuds. La route fond est au 070°. A 20h00, nous gouvernons au 090°. La mer est belle, le vent a molli et souffle force 1 Beaufort. La visibilité est estimée à 7 milles.
Le 11 janvier, à 06h10, je monte à la passerelle sur la demande du second capitaine. La visibilité, qui diminue à partir de 05h30 environ, est proche de 0,5 mille. Nos radars sont réglés comme suit : 6 et 12 milles (de fréquents balayages sont effectués sur les échelles supérieures), North up, mouvements relatifs. Le vent est faible, la mer belle. Je demande au chef mécanicien de tenir la machine prête à manœuvrer. A 06h15, conformément à la règle 19, je règle la machine en avant toute de manœuvre (règle 19d) et déclenche la signalisation sonore prévue (un coup long toute les 120 secondes) en mode automatique. Les signaux seront émis par la corne située sur la plage de manœuvre avant. Un deuxième moteur de barre est mis en service.
A 08h00, la situation radar est la suivante : deux navires viennent sur notre tribord, navigant au 175°, leur vitesse est de 14 nœuds. Leur distance minimum de passage devrait être de 1,4’ sur notre arrière pour celui détecté le plus proche de notre travers bâbord (noté A sur le pointage radar ci-joint) et de 1,3’ sur notre avant pour l’autre (noté B). Deux contrebordiers sont sur notre tribord. Le premier (C) est à 12 milles, sa distance de passage est de un mille (soit la distance minimale que j’impose dans mes ordres permanents). Il avance à environ 16 nœuds. Le second (D) est à 11 milles, sa distance minimale de passage est de trois milles. Sa vitesse est de 15 nœuds. La visibilité ne s’améliorant pas (proche de 0,3’) je mets en place le quart renforcé, à savoir le bosco comme veilleur et un timonier prêt à prendre la barre en commande manuelle. Le pointage radar laisse présager une situation claire jusqu’à 08h12. Mais, à 08h15, le navire B, qui devait passer sur notre avant, infléchit sa route vers nous. La situation est alors la suivante : nous relevons le contrebordier C dans le 101, à 5,4’, vitesse 16’, TCPA (temps au point de rapprochement maximum) de 13 minutes ; l’autre contrebordier (D) est relevé au 121 à 5,4’TCPA de 15 minutes ; nous sommes clair de A (travers passé). Le navire B, venant sur sa droite est relevé au 073, à 2,5’, sa vitesse semble inchangée (14 nœuds). Je décide alors de ralentir afin de le laisser passer sur notre avant. Pour que cette manœuvre soit clairement perceptible (règle 8b) je passe en avant très lente (règle 8. e et 19d). Le ralentissement est la seule manœuvre appropriée : je ne peux venir à droite sans me placer dans une nouvelle situation dangereuse vis à vis de C. A 08h18, la route du navire B s’infléchit encore. Je stoppe le moteur principal et tente de contacter ce navire par VHF sur le canal 16 sans succès. A 08h19, mon navire n’a plus assez d’erre pour manoeuvrer convenablement. A 08h20, je bats en arrière pour réduire au maximum l’erre résiduelle. A 08h23, la collision est inévitable. Je procède au rassemblement de l’équipage aux postes incendies par l’alarme générale suivis d’une diffusion. La consigne est de se préparer mais de rester dans les emménagements.
A 08h26, notre vitesse est de un demi nœuds, cap au 085 lorsque nous sommes abordé sur notre extrême avant par un navire au cap opposé. La machine est aussitôt stoppée. A 08h30, je rentre en contact avec le M/V SANTOSA, 6NOP5, MMSI : 345 222 000, immatriculé à PANAMA, Capitaine AL HASHASHIN par VHF canal 16 puis 69. D’autre part, j’envoie un appel sélectif numérique (canal 70) à toutes les stations afin d’avertir de notre situation. A 08h32, je lance une ronde des sondes, et fait gréer une manche à tribord. Aucune victime n’est à déclarer tant à notre bord que sur le SANTOSA. Notre assistance n’est pas nécessaire sur ce navire, nous n’avons pas besoin de la sienne. Les dégâts occasionnés par la collision ne semblent pas de trop grande ampleur. La ronde des sondes nous indique que seul le coqueron avant semble faire de l’eau. Je fais disposer le circuit d’assèchement. Notre ancre bâbord est bloquée dans son écubier et notre bulbe présente une déformation vers tribord. Le SANTOSA ne semble pas en danger de couler. A 08h45, je contacte mon armement afin de l’informer de la situation et lui préciser que nous n’avons pas besoin de l’assistance d’un remorqueur de haute mer. A 12h30, après concertation avec le SANTOSA nous décidons de nous dégager l’un de l’autre. Je mets la machine en arrière très lente et me libère du SANTOSA à 12h35. La machine stoppée de nouveau, je rentre à nouveau an contact avec le navire abordeur afin de connaître sa situation : Une voie d’eau importante se déclare dans sa cale 1. Cette voie d’eau ne met pas le navire ne danger immédiat. Cependant, je décide de rester sur zone jusqu’à l’arrivée du remorqueur d’intervention demandé par le SANTOSA. A 14h00, le niveau d’eau dans le coqueron est stable, notre pompe d’assèchement étale l’entrée d’eau. Il me paraît plus raisonnable de gagner Marseille pour réparation. J’avise mon armateur de la décision à 14h05.
Le MEROU arrive sur notre zone le 12 janvier vers 06h00. Je lance la machine et gouverne au 012°. Le niveau d’eau embarqué ne varie pas : la brèche est partiellement au dessus du niveau de l’eau. La visibilité est de 5 milles à 08h00, mer calme, pas de vent. Notre vitesse est maintenue à 7 nœuds (avant demi). A 20h00, la visibilité est estimée à 8 milles. A 21h00, j’apprends par telex l’accord du port Marseille pour ma relâche, la cale sèche est commandée. Le 13 janvier à 04h05, je suis dans le sud-ouest de la bouée pilote de Marseille. Nous embarquons le pilote à 04h24, Le remorqueur BELLE PROVENCE est capelé à l’avant à 05h00. A 05H06, le MASSILIA est capelé à l’arrière, sur les conseils du pilote, nous nous amarrons tribord au quai des Pheniciens.
Etant donné l'abordage survenu et les grandes fatigues éprouvées par le navire, je fais d'ores et déjà, toutes réserves en ce qui concerne les avaries qui pourraient être constatées ultérieurement, tant au navire qu'à la cargaison.
Je proteste contre le Capitaine du M/V SANTOSA, qui par sa manœuvre et sa vitesse trop élevée m'a abordé, je fais dès à présent les plus expresses réserves pour sauvegarder mes intérêts et ceux de qui de droit, dans le règlement de toutes les avaries que l'on constatera au navire
J'affirme le présent rapport sincère et véritable, me réservant la faculté de l'amplifier si besoin est, et je le dépose au greffe du Tribunal de Commerce de MARSEILLE pour servir et faire valoir ce que de droit.
Fait à MARSEILLE, le 13 Janvier 2005

P.J : pointage radar